Résumé :
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"La faute du législateur pouvant, sur la base des articles 1382 et 1383 de l'ancien Code civil, engager la responsabilité de l'État consiste en un comportement qui, ou bien s'analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère du législateur normalement soigneux et prudent, placé dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause d'exonération de la responsabilité, viole une norme de droit national ou de droit international ayant des effets directs dans l'ordre interne qui lui impose de s'abstenir d'agir d'une manière déterminée. Saisi d'une demande tendant à la réparation d'un dommage causé par une atteinte fautive à un droit consacré par une norme supérieure imposant une obligation à l'État, un tribunal de l'ordre judiciaire a le pouvoir de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l'État de respecter cette obligation, lors même que la norme qui la prescrit laisse au législateur un pouvoir d'appréciation quant aux moyens à mettre en œuvre pour en assurer le respect. Les articles 10 et 11 de la Constitution imposent au législateur de s'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée, en l'occurrence de respecter les principes d'égalité et de non-discrimination même si l'État dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu lorsqu'il détermine sa politique en matière fiscale. Le principe d'égalité et de non-discrimination qui est consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que par l'article 172, alinéa 1er, de la Constitution qui en est une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination est applicable à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique. Dès lors qu'il ressort des considérations d'un arrêt de la Cour constitutionnelle que le législateur a, en adoptant la législation litigieuse, violé des dispositions qui lui imposaient de s'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée, le législateur a commis une faute, susceptible d'engager sa responsabilité sur la base de l'article 1382 de l'ancien Code civil. En vertu du principe de l'équivalence des conditions, le lien causal entre la faute et le dommage est établi lorsqu'il est démontré que sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé in concreto. Le lien de causalité entre une faute et le dommage ne peut être exclu que si le juge constate que le dommage, tel qu'il s'est produit en réalité, se serait également produit sans cette faute. L'existence d'une obligation contractuelle, légale ou réglementaire n'exclut pas la survenance d'un dommage au sens des articles 1382 et 1383 de l'ancien Code civil, à moins que le contenu ou la portée du contrat, de la loi ou du règlement révèlent que la dépense ou la prestation à supporter doivent rester définitivement à charge de celui qui s'y est engagé ou qui y est obligé par la loi ou le règlement. Il appartient au juge d'apprécier, à la lumière de l'interprétation du contrat, de la loi ou du règlement si, selon leur teneur au leur portée, les dépenses effectuées doivent ou non rester définitivement à charge de celui qui a dû les effectuer. L'article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle confère à cette juridiction le pouvoir d'apprécier l'opportunité de maintenir ou non les effets d'une norme annulée, pour diverses considérations telles la sécurité juridique, des difficultés pratiques, administratives et financières, les conséquences défavorables ou disproportionnées d'une annulation. Cette disposition ne peut avoir pour effet d'exonérer l'État belge de toute responsabilité, privant le citoyen de son droit à être indemnisé du dommage subi à la suite d'une faute résultant de l'adoption d'une loi contraire à des normes supérieures. Il ne peut se déduire de cette disposition, ni de la disposition annulée elle-même par la Cour constitutionnelle, dont les arrêts ont une valeur erga omnes, que le préjudice résidant dans le paiement de l'impôt enrôlé sur la base de la loi annulée, doit définitivement rester à charge du contribuable, en ce sens qu'aucune action en responsabilité ne pourrait être intentée à l'encontre de l'État belge en raison d'une faute commise par le législateur. En l'absence d'erreur invincible ou d'une autre cause de justification dont l'État belge pourrait se prévaloir et en exécution du principe de l'équivalence des conditions, le préjudice subi trouve sa cause dans la législation adoptée fautivement par le législateur." (Extrait de la Revue Générale du Contentieux Fiscal n°2/2024)
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