| Titre : | Cour constitutionnelle, 30/01/2025 (2025) |
| Type de document : | Article : site web ou document numérique |
| Dans : | JLMB (22/2025, 30 mai 2025) |
| Note générale : |
Note de Anne-Sophie Lemaire |
| Langues: | Français |
| Sujets : |
IESN Droit judiciaire ; Jurisprudence (général) |
| Résumé : |
1. Si le Constituant a consacré, parmi d'autres droits économiques et sociaux, le droit à l'aide juridique, lequel offre aux justiciables une assistance dans le cadre de la défense de leurs intérêts légitimes, ce droit n'inclut cependant pas un accès gratuit de tout citoyen à l'intégralité des décisions judiciaires. Même si une information juridique correcte et complète concourt effectivement à garantir la jouissance des droits et l'aptitude à se défendre, ce seul constat n'implique cependant pas que l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution s'impose au législateur lorsqu'il légifère en matière de publicité des décisions de justice. Partant, le moyen pris de la violation de l'article 23 de la Constitution et de l'obligation de standstill en matière d'aide juridique, en ce que la loi du 16 octobre 2022 ne garantirait pas la création d'une base de données gratuite accessible au public, n'est pas fondé. Le prononcé, en audience publique, de l'intégralité d'un jugement ou d'un arrêt est conforme au principe de publicité érigé par l'article 149 de la Constitution. En revanche, lorsque seul le dispositif d'une décision est lu en audience publique ou que le prononcé de celle-ci a lieu exclusivement par écrit, il convient de mettre en place un mode complémentaire de publication de cette décision permettant un contrôle citoyen. En prévoyant la publication, à l'attention de tout justiciable, de jugements et arrêts pseudonymisés, au moyen du volet externe du Registre central, la loi du 16 octobre 2022 ne méconnaît pas la disposition constitutionnelle précitée. L'article 782 du Code judiciaire, tel que modifié, ménage en effet un juste équilibre entre l'exigence de publicité des décisions de justice, d'une part, et la protection de la vie privée et des données à caractère personnel, d'autre part. De plus, l'absence de pseudonymisation des données relatives aux magistrats, aux membres du greffe et aux avocats est également conforme à la Constitution. De même, l'article 782bis, alinéa 3, du Code judiciaire qui, en cas d'impossibilité technique de publier la décision pseudonymisée au Registre central, offre à la juridiction dont elle émane le choix de soit prononcer celle-ci dans son intégralité lors de l'audience, soit la mettre à disposition du public dans la salle et jusqu'à la fin de l'audience, n'est pas inconstitutionnel s'il est interprété en ce sens qu'il permet uniquement le report de la publication jusqu'à ce que l'impossibilité technique ait cessé. Au contraire, en ce qu'ils permettent à la juridiction qui l'a prononcée d'interdire la publication de la décision pseudonymisée ou d'ordonner l'omission de certaines parties de la motivation dans la version publiée, lorsque la publication d'une décision ou de parties de celle-ci porterait une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux des parties à la cause ou d'autres personnes impliquées, sans pour autant prévoir de mode de publication alternatif, les articles 782bis, alinéa 5, et 1109, paragraphe 2, alinéa 4, du Code judiciaire violent les articles 13 et 149 de la Constitution combinés. La simple mise à disposition de la décision, dans la salle et jusqu'à la fin de l'audience, est insuffisante à garantir le respect de la publicité des décisions judiciaires. Ces dispositions doivent donc être annulées. 2. L'institution d'un comité de gestion auprès du pouvoir exécutif ne porte pas atteinte à l'indépendance fonctionnelle des magistrats. En effet, eu égard à la composition du comité, dont les membres sont majoritairement issus de la magistrature, à la catégorisation du droit de vote attribué en son sein, offrant aux seuls représentants de la magistrature une voix délibérative plénière, et aux missions qui lui sont confiées (soit le fonctionnement du Registre en tant que source des décisions authentiques, le développement d'outils et la politique d'accès à la source authentique des décisions et son contrôle), la crainte que la localisation, auprès du pouvoir exécutif, de la gestion du Registre central compromette l'indépendance du pouvoir judiciaire n'est raisonnablement pas justifiée. La différence de traitement relative au caractère plénier de la voix délibérative (octroyée aux seuls représentants de la magistrature assise et debout, au contraire des représentants du barreau qui ne disposent que d'une voix consultative) et à l'élection à la (vice-)présidence du comité de gestion (laquelle n'est accessible qu'aux représentants de la magistrature assise) n'est pas disproportionnée en ce qu'elle repose sur un critère de distinction objectif, à savoir le rôle joué par les différents acteurs membres du comité dans l'administration de la justice. 3. L'institution du Registre central en tant que source des décisions judiciaires authentiques (volet interne) s'accompagne de la collecte d'une grande quantité de données à caractère personnel. À cet effet, il appartient au législateur, lorsqu'il règle l'accès à celui-ci, de mettre en balance l'égalité des armes d'une part et l'obligation constitutionnelle et conventionnelle de protéger les citoyens, s'agissant des données personnelles contenues au sein des décisions publiées d'autre part. Partant, afin de réduire les ingérences dans les droits fondamentaux des citoyens, le législateur peut distinguer différentes catégories de personnes pouvant obtenir accès au volet interne du Registre. Dans cette occurrence, le caractère restreint de l'accès des avocats au volet interne est raisonnablement justifié. En effet, la représentation des intérêts individuels d'un client ne nécessite pas l'accès à l'intégralité des décisions judiciaires authentiques, dès lors que non seulement les avocats ont accès à toutes les décisions qui concernent leur client, qu'ils sont par ailleurs tenus informés lorsque leur client est visé par le résultat d'une recherche au volet interne lancée par un membre de l'ordre judiciaire et, enfin, qu'ils ont accès à l'ensemble des décisions pseudonymisées via le volet externe du Registre, de sorte qu'ils peuvent adéquatement s'informer quant aux points de droit pertinents pour la cause dans laquelle ils interviennent. Au contraire, l'accès des magistrats à cette source authentique vise à leur permettre d'exercer leurs tâches en ayant connaissance de tous les précédents ou antécédents judiciaires des parties concernées figurant dans le Registre central et non de s'informer sur des points de droit tranchés. Si le principe d'indépendance du pouvoir judiciaire n'exclut pas que les autorités chargées de la gestion des juridictions disposent d'un accès au Registre central, cet accès doit être limité à l'objectif lié à leur mission, soit l'optimisation de l'organisation et de la gestion des juridictions, un meilleur soutien des politiques, une meilleure analyse de l'incidence des modifications législatives et une meilleure affectation des ressources humaines et logistiques au sein de l'ordre judiciaire. L'accès des autorités de gestion au Registre ne peut jouer le moindre rôle, ni exercer la moindre influence dans la désignation, la nomination ou les sanctions disciplinaires des magistrats afin que l'exercice de la fonction juridictionnelle dans les affaires individuelles ne soit pas affecté. Moyennant cette interprétation conforme, l'article 782, paragraphe 5, alinéa 6, du Code judiciaire n'est pas inconstitutionnel. L'article 782, paragraphe 8, alinéa 4, du Code judiciaire, en ce qu'il habilite le Roi à déterminer les modalités de l'accès au Registre ainsi que les procédures relatives à cet accès, ne viole pas l'article 149 de la Constitution et le principe de légalité qu'il contient. En effet, même si cette disposition constitutionnelle réserve la compétence normative au législateur fédéral, elle n'exclut pas de laisser à l'exécutif un pouvoir d'exécution limité. 4. Il ne saurait être inféré de l'article 23 de la Constitution, qui consacre le droit à l'aide juridique, l'obligation pour le législateur d'autoriser le téléchargement massif et le traitement des données enregistrées dans le Registre central. Partant, le moyen arguant que l'interdiction érigée par l'article 782, paragraphe 8, alinéa 2, du Code judiciaire entraverait l'autonomie des individus sur le plan juridique n'est pas fondé. L'érection, en infraction pénale, du non-respect de l'interdiction de profilage, de téléchargement massif et de traitement d'un ensemble de données enregistrées au sein du Registre ne viole pas l'article 12 de la Constitution et le principe de légalité en matière pénale qu'il contient, dès lors que le législateur a réglé tous les aspects essentiels de l'incrimination et que les notions employées permettent à toute personne d'évaluer préalablement les conséquences de ses actes. Si la formulation et le libellé de l'interdiction peuvent donner lieu à une large application, il n'en demeure pas moins que le juge doit interpréter celle-ci à la lumière de l'objectif poursuivi par le législateur et de l'interprétation qu'en fait la Cour. L'interdiction ne doit par conséquent pas être comprise comme empêchant de télécharger séparément plusieurs décisions juridictionnelles individuelles et de les soumettre à un traitement, comme par exemple, dans le cadre d'une publication scientifique. Au surplus, ces interdictions poursuivent des objectifs légitimes en lien avec la bonne administration de la justice, à savoir contribuer à éviter que la confiance du public dans les acteurs de la justice soit compromise et à appréhender avec prudence les développements technologiques concernant le traitement des données. L'interdiction du profilage est limitée au strict nécessaire, dès lors qu'elle porte uniquement sur la réutilisation de données d'identité des magistrats, des membres du greffe et des avocats. Afin de garantir l'effectivité de cette interdiction du profilage, le législateur a raisonnablement pu estimer qu'il était utile de prohiber également les actes préparatoires nécessaires à la réalisation d'un profilage, à savoir le téléchargement massif et le traitement d'un ensemble de données. En outre, l'interdiction du téléchargement massif et du traitement d'un ensemble de données n'est pas absolue. Le législateur a prévu une exception en la matière, lorsque le téléchargement ou traitement poursuit des fins scientifiques ou historiques ou a pour objectif d'apporter un soutien aux membres de l'ordre judiciaire dans l'exercice de leurs missions. Enfin, l'éventuelle sanction du non-respect des interdictions ne produit pas d'effets disproportionnés puisque l'infraction n'est punie que d'une amende, d'autant que l'écart important entre l'amende minimale et l'amende maximale octroie une marge d'appréciation importante au juge pour prononcer une sanction adéquate. Tant que les acteurs commerciaux et les avocats peuvent toujours sélectionner eux-mêmes des décisions judiciaires individuelles, sans téléchargement massif ni traitement d'un ensemble de données enregistrées du Registre central, l'article 782 en ses paragraphes 8, alinéa 2, 5, et 6, du Code judiciaire est conforme à l'égalité des armes, à liberté d'expression et à la liberté d'entreprendre des avocats. (Cour constitutionnelle, 30/01/2025, J.L.M.B., 2025/22, p. 928-931.) |
| Note de contenu : |
Jugements et arrêts - Généralités - Publication - Pseudonymisation - Registre central des décisions - Pas de violation - Possibilité d'interdire la publication d'une décision pseudonymisée ou d'ordonner l'omission de certaines parties de la motivation - Violation - Pouvoir judiciaire - Organisation et fonctionnement du comité de gestion du Registre central des décisions - Indépendance fonctionnelle des magistrats - Proportionnalité - Pas de violation - Jugements et arrêts - Généralités - Publication - Accès aux décisions judiciaires authentiques - Accès limité pour les avocats - Interdiction de la réutilisation des données contenues dans le Registre central pour la nomination, la désignation et les sanctions disciplinaires des magistrats - Pas de violation. - Infractions diverses - Interdiction de profilage, téléchargement et traitement massif des données enregistrées dans le Registre central - Légalité - Exception pour les téléchargements à but scientifique ou historique - Proportionnalité - Pas de violation |
| En ligne : | https://www.stradalex.com/fr/sl_rev_utu/toc/jlmb_2025_22-fr/doc/jlmb2025_22p928 |
Exemplaires (1)
| Localisation | Section | Support | Cote de rangement | Statut | Disponibilité |
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